Le crédit impôt recherche est un dispositif généreux mais pour l’obtenir il faut notamment satisfaire un critère : faire de la recherche et développement (R&D). Lorsque les activités de R&D sont menées en entreprise, elles sont généralement liées à la conception d’un produit  (on parle alors de développement expérimental). Il est donc courant pour une entreprise ou un bureau d’étude de déclarer du CIR suite à la construction d’une nouvelle machine ou suite au développement d’une solution d’intelligence artificielle par exemple. Ces travaux sont plus évidents à présenter et pour l’administration, ils sont aussi plus faciles à appréhender.

En revanche, lorsqu’une structure mène une activité de recherche visant à améliorer un service, un procédé ou une organisation, il devient plus difficile de la valoriser au titre du crédit impôt recherche. Et c’est tout le problème avec les sciences humaines et sociales. Elles sont considérées comme des activités moins factuelles (par opposition à des sciences dures ou exactes) puisqu’elles s’attachent à expliquer ou comprendre des phénomènes par des actions ou des comportements humains, et que leurs résultats ne débouchent pas sur des produits concrets ou industrialisables. Mais alors quid de ces entreprises qui mènent pour leur compte ou pour des clients des travaux de recherche en SHS (ex : des agences d’urbanisme, les bureaux d’étude spécialisés dans le bien-être au travail…) ? Peuvent-elles également toucher du crédit impôt recherche ?

Et si oui d’autres questions surgissent dans la foulée : comment reconnaître des travaux en SHS éligibles ? Et comment convaincre l’administration ?

Nous allons tâcher dans cet article de répondre à toutes ces interrogations.

diagnostic CIR

1- Les Sciences Humaines et Sociales sont bien éligibles au CIR

En France, le crédit impôt recherche est encadré par 2 textes :

  • Le Manuel de Frascati. C’est l’ouvrage international de référence qui est utilisé par l’administration pour définir les travaux de recherche et développement éligibles.
  • Le code général des impôts. Il détaille l’ensemble des règles concernant le CIR (les critères, les champs d’application, la méthode de calcul…)

Et ces 2 textes mentionnent bien les sciences humaines et sociales comme activité éligible. Il est notamment écrit que :

« les travaux de recherche menés en sciences humaines et dans les arts peuvent relever de la R&D dès lors que leur nature  scientifique est établie au regard des critères définis dans ces domaines.» (Manuel de Frascati).

Le code général des impôts donne même des exemples d’activités de R&D en sciences humaines et sociales, tels que :

« – L’analyse des facteurs liés à l’environnement en vue d’évaluer des programmes d’enseignement destinés à corriger certains handicaps.

– L’élaboration de moyens permettant de déterminer le programme d’enseignement le mieux adapté à certains groupes d’enfants.

– L’étude du mécanisme de la lecture en vue de l’élaboration d’une nouvelle méthode d’enseignement de la lecture aux enfants et aux adultes » (https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/6486-PGP.html/identifiant%3DBOI-BIC-RICI-10-10-10-20-20161102#Domaine_des_sciences_humain_37).

2- Quels sont les critères de R&D à respecter en SHS ?

Pour être éligibles au CIR, les activités en sciences humaines et sociales doivent répondre aux mêmes modalités que les autres types d’activités et donc satisfaire les 5 critères de la R&D.

Le critère de nouveauté :

nouveauté

Pour être considérés comme de la R&D, les travaux doivent produire des connaissances nouvelles pour le domaine. L’apport de connaissances générées par le projet s’apprécie au regard de la littérature scientifique du domaine (publications notamment). La première étape consiste donc à bien délimiter la question de recherche et à éviter les sujets trop vastes. Par exemple, une étude sur l’émergence des startups dans le monde rural est beaucoup trop généraliste. On préfèrera une étude pour comprendre les freins ou déterminants à l’innovation dans les zones où l’éco-système de l’innovation est faiblement développé. Une étude pour laquelle la contribution à l’état de l’art est mieux définie.

Il est aussi très important de bien faire la distinction entre un projet visant à étudier avec les outils des SHS une situation spécifique donnée (diagnostic d’une situation propre à une organisation ou une entreprise) dont les résultats ne sont valables que dans cette situation particulière,  et une étude construite comme un projet de recherche dont les résultats sont transférables et alimentent l’état de l’art, même si cette dernière peut être réalisée dans le cadre d’une prestation.

Le critère d’incertitude scientifique :

incertitudeElle découle de l’état de l’art. En effet, une fois que la question de recherche est bien définie, il est possible d’identifier les lacunes et notamment les manques dans la littérature. Cette étude de l’état de l’art permet de définir précisément les sujets sur lesquels doivent porter les travaux pour répondre à la question de recherche posée.

Le critère de créativité :

créativité

Cela passe par des travaux reposant sur des hypothèses originales et non évidentes.. Sur ce point le manuel de Frascati apporte des précisions : « En sciences sociales (par exemple, sociologie, économie ou science politique), les activités de recueil de données, comme la conduite d’enquêtes statistiques auprès de groupes de population donnés, ne peuvent être incluses dans la R&D que si elles font partie intégrante d’un projet de recherche précis ou qu’elles sont menées au profit d’un tel projet. Sont donc exclus de la recherche, les projets à caractère routinier dans le cadre desquels les spécialistes appliquent à un problème concret des méthodes, principes et modèles bien établis des sciences sociales. Par exemple, si les données d’une enquête sur la population active servent à mettre en évidence les tendances du chômage à long terme dans le cadre d’un projet, l’activité « recueil des données » devrait être exclue de la composante R&D dudit projet (car ces données sont recueillies à intervalles réguliers suivant une méthode établie) en revanche, si des techniques d’entretien inédites sont employées pour effectuer une enquête dans le cadre d’une étude de cas concernant la situation du chômage dans une région particulière, le recueil de données peut être rattaché au volet R&D de l’étude. » (https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/9789264257252-fr.pdf?expires=1647948749&id=id&accname=guest&checksum=22B9806E5F02ED6133E62E850D207144)

Le critère de systématisation :

systématisation

Les travaux de recherche doivent être structurés et toujours liés à la poursuite des objectifs de départ. C’est pourquoi les étapes de recherche doivent avoir été planifiées et les données obtenues enregistrées. Autrement dit, la démarche expérimentale doit être précise, suivre un cheminement pensé en amont et non pas se dessiner au fur et à mesure de l’avancée des travaux et des résultats récoltés.

Le critère de transférabilité :

transférabilité

Comme nous l’avons vu précédemment, les travaux de R&D doivent permettre la génération de nouvelles connaissances, contribuer à faire avancer l’état de l’art, c’est-à-dire le niveau des connaissances d’un domaine. Mais pour cela, il faut que les résultats recueillis puissent être transférables de manière à permettre à d’autres chercheurs d’y avoir accès. Même lorsque les résultats sont obtenus dans le cadre d’une prestation et font donc l’objet du secret professionnel, il est d’usage de les consigner à l’intention des autres spécialistes du domaine, ou des autres chercheurs de l’équipe s’il n’est pas possible de divulguer les résultats.

Sur ce point, il est aussi important que les résultats de l’étude soient reproductibles ou extrapolables. Des travaux qui viseraient simplement à distiller des conseils ponctuels suite à un diagnostic spécifique sont difficilement éligibles au CIR.

Maintenant que vous avez une meilleure idée sur l’éligibilité de vos travaux, reste à convaincre l’administration. En sciences humaines et sociales comme pour les autres domaines, vous devez rédiger un dossier technique pour présenter le caractère R&D de vos travaux. Pour cela, il vous faut mettre en évidence les limites de l’état de l’art, l’incertitude scientifique à laquelle vous avez fait face, la démarche expérimentale que vous avez utilisée et décrire les étapes de vos travaux.

Pour juger de votre éligibilité, l’administration est sensible à certains indicateurs comme :

  • la collaboration avec des laboratoires publics ou des universités.
  • la participation d’un docteur ou doctorant aux travaux. Plus généralement, l’administration prête une attention particulière au personnel en charge des travaux. Une personne spécialisée dans le domaine (sociologue, ethnologue, psychologue….) ou ayant déjà mené des études dans ce domaine est un vrai plus.
  • la publication des résultats des travaux dans des revues scientifiques.

Rassurez-vous, ce ne sont pas des critères indispensables mais ils favoriseront la validation de votre dossier.

3- Quelques exemples d’activités de SHS éligibles

Que ce soit à l’initiative des collectivités territoriales ou des entreprises, les études en sciences humaines et sociales se multiplient. Résultat, de plus en plus de projets SHS font l’objet d’une demande de CIR. On peut citer notamment des travaux pour favoriser l’émergence de nouveaux modèles organisationnels ou de nouveaux modes d’apprentissage, pour prendre en compte le bien-être au travail, pour favoriser la transition numérique, pour favoriser la transition écologique ou pour construire les villes de demain…

Pour plus de concret, nous avons imaginé 2 exemples d’activités : l’une pourrait être éligible au crédit impôt recherche, l’autre non.

Exemple 1 :

Objectif : Étude des obstacles sociaux à l’économie verte et la transition écologique.
Question de recherche : L’économie sociale et solidaire est-elle un dispositif efficace pour la transition écologique ? Et comment la mettre en place à l’échelle du territoire ?
Incertitudes : L’économie sociale et solidaire (ESS) est considérée comme une approche prometteuse dans la littérature. Toutefois, dans la pratique, cette économie peine à se développer et nous manquons d’outils efficaces. Les freins et les facteurs de succès restent à étudier.
Démarche de recherche : Définition des hypothèses et définition de la méthodologie d’étude (sélection de l’échantillon, préparation des guides, réalisation d’entretiens auprès des acteurs de la transition écologique) et analyse.

Ce type de projet répond aux 5 critères de Frascati. Il peut donc constituer une activité de recherche éligible.

Exemple 2 :
Objectif : Étudier le bien-être au travail des salariés de l’entreprise DELTA .
Question de recherche : Les outils numériques installés ont-ils un impact positif sur la qualité du travail et le bien-être des salariés de l’entreprise ?
Incertitudes : Les outils mis en place n’ont encore jamais été étudiés sous l’angle du bien-être au travail. Nous ne savons pas si les automatisations prévues vont améliorer l’organisation et réduire le niveau de stress. L’étude permettra également d’améliorer le paramétrage de l’outil.
Démarche de recherche : Entretiens individuels semi-directifs auprès des salariés. Analyse des données recueillies pour identifier les impacts et formuler des recommandations.

Dans ce projet, l’équipe d’experts en SHS va appliquer des méthodes connues pour fournir un diagnostic et des recommandations spécifiques au contexte de l’entreprise, qui ne seront pas transférables. Le projet va générer des connaissances nouvelles pour l’entreprise, mais pas le secteur. Il s’agit plus d’un travail de prestation de bureau d’étude, que d’un projet de recherche.

En conclusion, les activités en sciences humaines et sociales peuvent valoir du crédit impôt recherche comme la R&D de n’importe quel autre secteur, à condition de bien respecter les critères de Frascati.

Si vous avez des doutes sur l’éligibilité de votre projet ou si vous avez des questions sur le dossier à monter, nos experts sont à votre écoute. À l’issue de ce rendez-vous, vous saurez si vous pouvez obtenir du CIR et vous aurez une idée des sommes en jeu.